Près du front de mer de Dartmouth, à environ 10 minutes à pied du traversier venu du centre-ville d’Halifax, se détache un immeuble à condos de hauteur moyenne. Rien n’annonce une expérience transformatrice, mais c’est en plein ce que réserve The Watch That Ends the Night, meilleur nouveau bar canadien. La soirée du samedi est jeune quand débute mon voyage dans le passé. Le roman de 1959 de l’écrivain canadien Hugh MacLennan donne à la salle rétrochic son nom et sa référence temporelle. L’espace chaleureux a des sièges bas et colorés du milieu du siècle, un papier peint bleu foncé au motif hypnotique de sabliers ondulants et une minibibliothèque de livres de cocktails et de cuisine prenant cordialement appui sur un mur face à la grande vitrine.
Le look est celui d’un repaire de vieux copains d’école, mais chacun est ici le bienvenu; je partage le lieu avec de jeunes professionnels, des couples plus âgés et une bande sympa et branchée de femmes d’âge mûr dont les rires retentissent dans tout le bar. Le soleil entre à flots par la baie vitrée qui encadre la silhouette d’Halifax, de l’autre côté du port. Je sirote un rhum coca version boisée, corsé de bourbon, d’amaro et de bitters à la cerise et au cèdre ainsi qu’à la lime, un glaçon titanesque équilibrant le tout. (Autre référence à la culture canadienne : le drink s’appelle The Julian, du nom du personnage de Trailer Park Boys qui siffle tout le temps des rhums cocas.) Je lève mon verre pour mieux admirer cet élixir ambré; la glace laisse passer la lumière. « Tout va bien avec votre verre ? » demande le barman, voix sincèrement inquiète et bague en fer à cheval au doigt. « Tout va bien… avec tout », je réponds.
Le reste de la carte des boissons joue tout autant du rhum, en hommage à l’histoire maritime de Dartmouth. J’enchaîne donc avec le Big Lift, un cocktail sucré-salé rehaussé d’eau-de-vie à la figue de Barbarie, qui sert de repoussoir acidulé au délicat kokoda de pétoncles, un ceviche fidjien qu’une mixture de jus d’agrumes et de lait de coco rend riche, éclatant et carrément tropical. Comme dernier verre, mon invitée et moi partageons un mélange de lait aux cornflakes, d’amers italiens, de café et de rhum qui goûte un déjeuner au lit par un dimanche matin de farniente bien arrosé. Baptisé Ryan Gosling Won’t Eat His Cereal, c’est le plus savoureux cocktail nommé d’après une série de vidéos virales… et la conclusion idéale d’une soirée qui réussit à embrasser le passé tout en restant ancrée dans le présent.










